Amazon et la fin du télétravail : un exemple emblématique
Amazon annonce publiquement que l’ensemble de ses employés, soit près de 300 000 personnes, seront de retour aux bureaux d’ici le 2 janvier 2025. Le télétravail c’est définitivement fini.
5 ans après la mise en place du télétravail depuis le Covid-19, la baisse de productivité et de coopération constatée par Amazon a justifié cette décision. A noter, que le géant de l’e-commerce avait déjà réduit le nombre de jours télétravaillés en 2023 en passant de 5 à 3 jours maximum.
300 à 350 000 salariés d’Amazon devront revenir dans les bureaux (100% en présentiel) à partir de janvier 2025
Le retour dans les bureaux n’est pas nouveau parmi les géants américains : Google, Apple, Grindr, Tesla, etc. avaient déjà réduit ou limité fortement la pratique du télétravail. Entre baisse de productivité, manque de cohésion, ou même inégalités entre les postes, plusieurs entreprises reviennent sur cette pratique pourtant si prometteuse à sa diffusion.
Si on compare les pratiques de télétravail sur les 100 plus grandes entreprises américaines, (Source : Ringover, société de télécommunications britannique), le full remote est passé d’un taux de 61,5% en 2020 à 11,5% en 2023.
2 raisons principales énoncées par Andy Jassy, PDG d’Amazon :
- le manque de cohésion et de créativité entre les équipes
- la baisse de productivité globale des équipes
Les inconvénients du télétravail à long terme
« En observant ces cinq dernières années, nous continuons de penser que les avantages d’être tous ensemble au bureau sont importants », a expliqué le PDG Amazon.
La mise en place du télétravail a été faite, pour la majorité des entreprises, à la période du Covid-19, et fort de constater que nous n’avons jusqu’à maintenant que très peu d’analyses faites sur cette pratique jusqu’à récemment.
Alors qu’on pointait des avantages de confort pour les salariés (réduction du temps de trajet, meilleur équilibre pro/perso) et une augmentation de la productivité pour les entreprises, les études récentes faites par le MIT et Stanford sur des pratiques du télétravail de « longues durées » sur plusieurs années sont à contre courant de ces 1ères analyses.
Les limites du télétravail pour les entreprises
Les études du MIT, de Stanford, et les 5 dernières années de télétravail d’Amazon apportent une première conclusion générale sur la pratique : en moyenne 18 à 20% de baisse de productivité.
L’étude de Stanford (avec plus de 20 000 employés interrogés) a analysé cette baisse de productivité au sein des entreprises depuis la mise en place du télétravail et a déduit plusieurs tendances que génère le télétravail sur une longue période :
- une plus grande difficulté de communication et de coordination au travail ;
- une dégradation des réseaux de communication entre les équipes ;
- une réduction de nouvelles connexions entre les anciens et nouveaux collaborateurs ;
- une diminution de la créativité, à cause de l’éparpillement en multi tâches plutôt que du cadrage sur une tâche structurée ;
- une réduction de l’apprentissage, du feedback et du retour d’information.
Pour les entreprises, à date, il est difficile en télétravail de maintenir une culture d’entreprise forte. Plusieurs facteurs sont responsables face à ce constat : un manque de structuration pour bien manager à distance, un manque d’agilité sur le style managérial, une non adaptation des pratiques de télétravail pour les équipes, trop de flexibilité sur les horaires, etc.
De fait, le télétravail, comment il est conçu actuellement dans la majorité des entreprises, crée et favorise l’isolement des salariés. La distance physique, si elle n’est pas compensée par plus d’échanges managériaux, de moments off avec ses collègues, favorise un isolement et réduit le sentiment d’appartenance d’un salarié. Ce phénomène s’explique par le biais d’exposition (un biais cognitif) : plus vous êtes exposé à quelqu’un / une situation, plus il est facile de reproduire ce schéma. A l’inverse moins vous êtes exposé à vos collègues, moins ce sera facile pour vous de partager, de collaborer ou échanger avec.
Impact sur les employés : des risques psychosociaux accrus
L’isolement du télétravail, présente également des risques importants pour les salariés. L’analyse du MTI, basée sur 235 travailleurs, a permis d’éclairer 2 effets principaux :
- L’effet de sélection : l’hétérogénéité des pratiques de télétravail (différences de lieu de télétravail, d’aménagement, d’équipement, de distractions, etc.) crée une difficulté pour cadrer les temps professionnels vs personnels
- L’effet de traitement : le télétravail réduit les interactions et l’encadrement des collaborateurs pour améliorer la situation initiale
En effet, le cadre du télétravail, l’éloignement physique, la réduction de « liens » a accru des phénomènes d’isolement, de difficulté de coopération et d’interaction. Contrairement à ce qu’on pensait au début, le risque principal du télétravail n’est pas un contrôle exagéré du management, mais plutôt son absence.
Le télétravail, sans encadrement adapté, a eu de fortes conséquences :
- une difficulté à la déconnexion avec une augmentation du temps effectif travaillé (tard le soir, les weekends, etc.), sans parler pour autant de productivité ;
- une difficulté à séparer le cadre travail / personnel en mélangeant les activités (faire une lessive / ses courses en pleine journée vs avoir des horaires adaptés pour des réunions / points) ;
- une perte de sens et de reconnaissance avec un management moins présent et cadrant (donner des objectifs, contrôler, faire des feedbacks, apporter de la visibilité stratégique…) ;
- un manque d’appartenance accru par la diminution, voire la suppression, de small talk, moments off, team building qui construit/maintient l’esprit d’équipe d’une entreprise ;
- une intégration ou des échanges difficiles à cause d’un manque d’exposition (l’effort d’appeler, faire des visioconférences vs se croiser tous les jours, manger ensemble, etc.) ;
- etc.
Le risque principal du télétravail n’est pas un contrôle exagéré du management, mais plutôt son absence.
Le télétravail : une solution inégalitaire
Le télétravail a eu de lourdes conséquences sur la santé économiques des entreprises (entre -18% à -20% de productivité) comme sur leurs salariés. Mais il ne faut pas forcément rejeter le télétravail en bloc pour autant. Cela nous a permis de voir l’agilité et la vitesse à laquelle les entreprises ont pu se transformer. Et le télétravail a professionnalisé le travail à distance (entre des agences / entités nationales ou internationales), tout en créant un système agile et flexible. Toutefois, ce modèle ne peut pas être duplicable à l’ensemble des secteurs d’activités et métiers, ce qui en fait une solution inégalitaire.
Des emplois incompatibles avec le télétravail
Beaucoup d’emplois ne peuvent pas être « dématérialisés », c’est-à-dire travailler depuis chez soi. Tous les secteurs d’activités et métiers liés aux services à la personne (santé, éducation, sport, etc.), avec des engagements de disponibilités (magasins, restaurants, etc.) ou qui nécessite un engagement physique (industrie, travail à la chaine, etc.) ne peuvent pas se faire derrière son PC.
Cela marque donc une grosse fracture avec tous les boulots dits « administratifs », qui peuvent être techniquement mené depuis n’importe où. Une étude menée par Statista montre qu’en 2022 comme en 2024 en France, on compte près de 36% de la population active qui a recours régulièrement au télétravail et note que 59% des français actifs n’ont jamais fait de télétravail.
59% des français actifs n’ont jamais fait de télétravail.
Le télétravail ne peut pas encore concerner tout le monde, et sa pratique a notamment créé des systèmes inégalitaires au sein des entreprises sur des postes différents.
Injustice et manque d’équité
La scission entre les postes qui peuvent ou qui ne peuvent pas mettre en place le télétravail renforce de fait les inégalités de position entre les postes de « cadres » et les postes techniques, dits « opérationnels ».
C’était notamment la raison pour laquelle Elon Musk a demandé à ses équipes « administratives » (il faut comprendre ici, derrière un bureau) de justifier 40h minimum de présence dans les locaux de Tesla, comme les personnes affectées à la partie de production et logistique, avant de pouvoir télétravailler.
Permettre à une partie de ses équipes uniquement de faire du télétravail est un sujet délicat à gérer, que ce soit en communication auprès des équipes, en management pour éviter de créer des groupes qui se détachent ou en avantages pour l’ensemble des équipes qui n’ont pas accès aux mêmes conditions de travail. De quoi créer des fossés inter fonction.
L’avenir du télétravail en France : un équilibre à trouver
La fin du télétravail pour Amazon n’a pas mis, pour le moment, le feu au poudre en France. Les entités européennes ou françaises d’Amazon n’ont d’ailleurs pas été affectées par ce changement de direction. Mais avant de parler de la fin du télétravail en France, il est possible que cette décision marque les pratiques dans les prochaines années et nous penche à la fois sur la question de la flexibilité du travail, comme sur le sujet de la semaine de 4 jours.
La situation actuelle du télétravail en France
En France, bien que la crise Covid-19 a démocratisé les pratiques de télétravail, cette situation ne concerne pas la majorité des français actifs et s’est déjà éloigné de son pic de 2020 :
Nous sommes encore loin d’une démocratisation en full remote (100% télétravail) qui représente à peine 4% de la population active en France. En revanche, pour les personnes qui ont accès au télétravail en France, cela représente en moyenne 3,5 jours pour 5 jours travaillés (Source : Bilan du télétravail), ce qui nous situe plutôt dans la borne haute en comparaison à nos voisins européens.
Retour partiel ou fin du télétravail : quelles options ?
A date, nous ne croyons pas à la fin du télétravail en France. Cependant, il est fort probable que les entreprises profitent de l’élan donné par Amazon et les autres géants du commerce pour redéfinir les pratiques du télétravail, en structurant clairement des process dédiés. Et faire face ainsi aux difficultés que nous avons présenté au début de cet article.
Plusieurs options et pensées émergent ces dernières années, entre le full remote, le télétravail, la semaine de 4 jours, le flex office… Ce melting-pot pousse des réflexions poussées sur l’organisation du travail en général :
- comment créer du lien entre les équipes ?
- comment favoriser l’incarnation des valeurs et de la culture d’entreprise ?
- comment créer des élans coopératifs et de partage ?
- comment bien manager ?
- comment assurer le bonheur au travail ?
- comment assurer la productivité ?
- etc.
Derrière l’organisation du travail se dessine de nombreux enjeux managériaux que les entreprises doivent maitriser pour à la fois rester performante et également pour s’assurer de la fidélisation de leurs collaborateurs.
Fin du télétravail, une réalité inévitable ?
Les mouvements des multinationales américaines questionnent fortement sur l’avenir du télétravail, en France ou ailleurs. Mais avant d’annoncer la fin du télétravail, il est clair que les pratiques du télétravail vont ou devront évoluer pour atteindre un équilibre face aux inégalités perçues ou aux risques associés.
Contrairement aux gros titres, non le télétravail n’est pas définitivement fini, mais repenser son modèle organisationnel et managérial devient un enjeu clé pour le bien-être au travail et la performance.